Jill Eytan Hurdwood

Votre histoire

Ils disaient que la vie était belle. Ils disaient qu’il suffisait d’avoir des rêves et d’y croire assez fort pour qu’ils se réalisent. Ils disaient que l’on pouvait être heureux si l’on s’en donnait les moyens. Ils disaient qu’on avait l’avenir devant soi, ils disaient que tout était possible. Que le monde était à nos pieds. Ils disaient qu’on n’aurait plus mal, que ça valait la peine de vivre. Ils disaient qu’on s’aimerait. Ils disaient que la vie était belle.
Ils m’ont menti. Ils n’ont pas dit à quel point ça ferait mal. A quel point l’injustice me piétinerait. A quel point le manque de toi me crèverait le cœur. Ils n’ont pas dit qu’on n’en sortait pas indemne. J’ai compris que ça n’en valait peut-être pas la peine.

Je m’appelle Jill Eytan Hurdwood. Mon père m’appelait Jill, ma mère Eytan. Ils n’étaient pas parvenu à se mettre d’accord sur un prénom. Ils ont choisi les deux. Je préfère aussi Eytan. C’est comme ça que la plupart des gens m’appellent. Eytan. Je suis Jill pour ceux qui ne me connaissent pas, qui ont lu mon nom sur une liste, sur un bout de papier ou peu importe. De toute façon, on se fiche de savoir comment je m’appelle. Ce qu’on veut savoir, c’est la raison pour laquelle je suis ici.
Ce qu’il faut savoir, c’est que j’aurais pu être heureuse. J’avais des parents soudés qui aimaient leurs enfants, j’avais un grand frère qui prenait soin de moi. Une belle petite maison dans la banlieue de Denver, dans le Colorado. Quelques amis avec qui je m’amusais. J’avais une vie charmante, loin d’être exceptionnelle, mais charmante. Et puis il est arrivé. Il a débarqué dans ma vie tel un ouragan qui dévaste tout sur son passage. Il a dévasté mon existence. Il m’a piétinée, a massacré mon cœur, mon âme, il m’a réduite en poussière, m’a arrachée à tout ce qui me tenait en vie, avant de me jeter tel une ordure dans ce trou. Il m’a laissée dans le noir le plus profond, il m’a abandonnée. Il a détruit tout ce que j’avais. Cet homme, Lysander, a pris tout ce que j’avais à lui donner, tout mon amour, mon innocence, tous mes espoirs et tous mes rêves, il a tout pris et a tout déchiré sous mes yeux. Il a arraché mon cœur de ma poitrine sans prendre la peine de m’anesthésier, il en a fait des lambeaux et l’a remis à sa place, dans un trou béant, dans une mare de sang.

Je suis née un 14 janvier. J’ai failli ne pas vivre plus d’une journée. Aujourd’hui je me dis que ça aurait peut-être été mieux. Ma mère disait qu’on avait eu de la chance. Moi je dis que le destin a un excellent sens de l’humour. Surtout quand on sait que je suis entrée dans cet hôpital un 14 janvier. Pour tes dix-neuf ans Eytan, voici un très beau cadeau. A croire que Lysander l’a fait exprès. A dire vrai, cela ne m’étonnerait même pas. Je me suis fait avoir. Je suis tombée dans le panneau. On pourrait dire que je suis la seule responsable de tout ça. C’est ce qu’ils disent tous, en fait, c’est ce qu’il a réussi à mettre dans la tête de chacun. Moi je sais. Je sais que c’est de sa faute. Je sais que c’est lui qui les a tués, les uns après les autres, juste sous mes yeux. Je sais que c’est lui le seul est unique responsable, je sais qu’il devrait être là à ma place, je sais qui de nous deux est atteint de folie. Je devrais être libre. Je suis innocente.

Nous nous sommes rencontrés « par hasard », Lysander et moi. C’était en septembre, il faisait encore beau, et nous étions au parc avec des amis. Nous nous sommes croisés. Ça aurait pu être juste ça, un homme et une femme qui se croisent dans un parc par un beau jour de septembre, ça aurait pu juste être un regard échangé, et rien de plus. Dieu sait que j’aurais aimé qu’il en soit ainsi. Mais non. Il a fallu que mon cœur s’emballe, que ses yeux heurtent les miens, que sa main effleure la mienne, que mes lèvres viennent se coller aux siennes. Ils appelaient ça un coup de foudre. J’appelais ça un attentat à mon existence. Une bombe à retardement venait d’entrer dans mon cœur. Je n’allais pas sortir vivante de l’explosion. Je donnerais n’importe quoi pour qu’il ait été touché également. Mais il avait le détonateur depuis le début, et il avait tellement tout manigancé que ma parole ne faisait pas le poids contre la sienne. Donc, lui et moi, une rencontre hasardeuse, un coup de foudre. L’amour fou. Problème ? Il est un peu plus âgé. J’ai dix-huit ans, il en a vingt-quatre. Cette différence n’est pas énorme, mais cela pose problème à mes parents. Il a le même âge que mon frère, qui le connait bien. Il sait qu’il n’est pas fréquentable. Mais je m’en fous, je l’aime, mon cœur refuse d’écouter. Il me regarde dans les yeux et me dit qu’il m’aime. Je donnerais ma vie pour lui. Il me l’a volée avant que je ne puisse m’en rendre compte.

Un soir, Lysander m’a emmenée avec lui, il a dit « Je vais te montrer quelque chose de fabuleux ». Je l’ai suivi. J’étais heureuse. Je me sentais bien. J’étais en sécurité avec lui. Jusqu’à ce soir-là, en tout cas. Il m’a entrainée dans un des quartiers malfamés de Denver. Je ne m’étais jamais aventurée de ce côté-là de la ville, mais puisque j’étais agrippée à lui, je ne risquais rien. Il m’a dit « Tu vas voir, c’est génial. » Je l’ai cru. C’est quand il m’a poussée dans l’impasse que j’ai compris que je m’étais fait avoir quelque part. C’est quand il m’a lancé ce regard effrayant que j’ai compris que je n’avais rien à faire là, que je devrais prendre mes jambes à mon coup et déguerpir immédiatement. Je lui ai demandé ce qu’on faisait là. Il a posé sa main contre ma bouche, m’a encerclé la taille avec son autre bras et m’a plaquée violemment contre le mur. Il n’y avait pas d’éclairage public, ou très peu, dans ce quartier-là. Ses yeux avaient perdu tout éclat bienveillant. J’ai commencé à paniquer. Il ne cessait de murmurer à mon oreille que tout irait bien, que ça serait drôle, qu’on s’amuserait. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine. J’avais peur. Je voulais partir. J’ai entendu d’autres voix. Il avait invité des amis. Lysander rit au creux de mon oreille. Un rire que je n’oublierais jamais. Un rire malsain. Il s’est décollé de moi brusquement, m’a tirée vers lui avant de me balancer vers un des deux autres hommes présents. Celui-ci m’a rattrapée et m’a empêché d’hurler. Il me tenait fermement tandis que l’autre barrait ma bouche d’un épais morceau de ruban adhésif. J’imaginais le pire. J’étais terrorisée. Ils ont ouvert une porte dans le mur qui conduisait à un minuscule appartement. Je n’ai pas eu le temps d’admirer le décor, ils m’avaient déjà allongée et attachée sur un matelas dégueulasse. Ils m’ont déshabillée sans ménagement, glissant leurs doigts et leur langue où ils le voulaient. J’ai essayé de m’échapper. J’ai fermé les yeux et j’ai tout fait pour libérer mon esprit. Je me suis imaginée sur une plage, dans une forêt, je me suis imaginée heureuse avec ma famille chez moi, je me suis imaginée à Disney World, je me suis imaginée au fond d’un océan. Mais à chaque fois le visage de Lysander réapparaissait, son rire diabolique résonnait toujours plus fort. Ils ont sorti un couteau et se sont amusés à faire glisser la lame contre ma gorge, contre mes cuisses, contre mes seins. Ils ont coupé ma peau au niveau des bras, des jambes, des joues. Je voulais mourir. Je voulais qu’ils me tuent sur le champ.
J’ai fini par perdre connaissance. Lorsque je me suis réveillée, j’étais complètement nue. Ils m’avaient balancée dans cette impasse et avaient disparu. Mes habits étaient éparpillés tout autour de moi, il n’y avait plus de ruban sur ma bouche. Mon corps tout entier me faisait mal. Ce jour-là, la vie m’avait quittée. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, jusqu’à ce qu’il revienne vers moi. Je n’ai pas cru un seul instant que cela pouvait être réel lorsque Lysander m’a tendu la main. J’ai hurlé. J’ai hurlé aussi fort qu’il m’était possible. J’ai hurlé combien j’avais mal, combien je haïssais cet homme qui se tenait devant moi. J’ai hurlé parce que je n’avais pas de flingue pour lui exploser les genoux, j’ai hurlé parce que je n’avais pas de quoi lui crever les yeux, lui arracher le cœur. J’ai hurlé parce qu’il ne me restait rien d’autre à faire.
Il m’a serrée contre lui. Et vous savez ce qu’il m’a dit ? Je vais vous le dire. Il a dit :

« Je vais buter les mecs qui t’ont fait ça. On m’a appelé en disant qu’on t’avait vue avec ces types. Je suis venu aussi vite que j’ai pu, mais trop tard apparemment… Si tu savais comme je m’en veux, Eytan, je m’en veux tellement de ne pas être venu plus vite… Je suis désolé, désolé, je suis tellement désolé… Eytan, je te promets que je vais buter ces fils de pute. Je te le promets. Je vais te venger. »

J’ai été déboussolée. Je ne comprenais rien. C’était lui, pourtant, c’était en partie pour ça que je hurlais de toutes mes forces. Et pourtant, il me persuadait du contraire. Je ne savais plus où j’en étais. Je ne savais pas quoi croire. Avais-je halluciné ? Etais-je devenue folle ?
Le lendemain, on retrouvait deux cadavres à l’endroit où j’avais été violée. Tués par balles. Le coupable se trouvait dans la nature. Moi, je savais qui était le coupable.

Il parait qu’on pardonne tout à son premier amour.

Je suis restée dans ses bras. J’ai continué à l’aimer comme une folle. Je me forçais à ne plus penser à mon agression, car je faisais une véritable crise d’angoisse à chaque fois. Je ne voulais pas chercher plus loin par rapport à Lysander. Je me disais que j’avais halluciné. Il ne pouvait pas m’avoir fait ça. Je le croyais. Je l’aimais. Je lui pardonnais. Je préférais croire en de beaux mensonges plutôt qu’en une vérité qui faisait mal.

Deux mois après, il est venu me trouver chez moi. Il m’a dit qu’on devait partir. Il a sorti des habits de mon placard et les as mis dans un sac. Il m’a dit qu’il fallait qu’on s’en aille loin, juste lui et moi, qu’on parte pour toujours, qu’on ne reviendrait jamais. Et j’ai eu peur, là encore, je ne comprenais pas. L’avait-on retrouvé pour le double-meurtre qu’il avait commis ? Ou avait-il commis un autre crime ?

« Tu te souviens quand tu m’as dit que tu me suivrais jusqu’au bout du monde, Eytan ?
-Je… oui… oui, je me souviens.
-Et bien c’est le moment. On part au bout du monde. Dépêche-toi. »

Je ne parvenais pas à dire un seul mot. Je ne savais pas quoi faire. Avais-je suffisamment confiance en lui ? Pouvais-je laisser ma famille derrière moi ? Pouvais-je réellement le suivre ?

Je n’eus pas vraiment le choix, finalement. La suite des évènements se déroula avec une telle rapidité et une perte de contrôle totale. Je ne décidai de rien. J’assistai avec impuissance à ma propre destruction.

Cela a commencé lorsque mon père est venu s’interposé. Lysander avait commencé à élever la voix pour que je me dépêche de faire mes affaires. Mon père est entré dans ma chambre et a demandé ce qu’il se passait. Lysander a brandi son flingue et a tiré. Voulait-il juste nous faire peur ou réellement abattre mon père ? Allez savoir. J’ai hurlé, comme j’avais hurlé deux mois auparavant. J’ai hurlé parce qu’une fois de plus, je n’avais aucun moyen de défense, pare que mon père se vidait de son sang à mes pieds. Je me suis enfuie. Il m’a poursuivie. J’ai essayé de sortir de la maison avant qu’il ne s’en prenne à ma mère et à mon frère. Il m’a attrapée par les cheveux et m’a ordonné de ne pas bouger. Il avait le même regard que le soir de mon agression. Et j’ai compris. J’ai compris que je n’étais pas folle, qu’il s’était foutu de moi, qu’il m’avait menée en bateau depuis le début. J’ai compris qu’il était réellement l’auteur de mon agression, que je n’avais pas halluciné, que j’étais saine d’esprit, que c’était un malade mental. Il m’a attrapée par les cheveux et m’a ordonné de faire ma valise. Les larmes inondaient mon visage mais il n’y prêtait aucune importance. J’ai hurlé de nouveau lorsqu’il a tiré sur ma mère. Je voulais qu’il me tire à moi aussi une balle en plein cœur. Puis mon frère est entré dans la pièce. Je lui ai crié de partir. Je l’ai supplié de rester en vie. Il s’est battu avec Lysander. Il m’a demandé de m’enfuir. Je ne voulais pas partir sans lui. Il avait déjà alerté les flics, mais lorsqu’ils sont arrivés, l’ouragan était déjà passé. Il y eu deux autres coups de feu. Le corps de mon frère inerte s’écrasant telle une marionnette sur le sol. Je n’avais plus du tout l’envie de m’enfuir. Je me suis effondrée près de mon grand frère. Je n’avais plus la force de tenir debout. Plus la force de vivre. Que Lysander en finisse maintenant. Une balle dans la tête et on n’en parle plus.

Lorsque les flics ont débarqué dans la maison, ils m’ont trouvée au milieu des cadavres de mon père, de ma mère et de mon frère, un flingue à la main. Aucune trace de Lysander. Juste moi, et les corps. Juste moi, et ma valise sur le lit, et ce flingue dans ma main.

Le reste est très flou. Les interrogatoires au poste de police, la mise en cellule, l’enterrement de ma famille… Je ne me souviens pas de grand-chose. Je ne sais plus ce que j’ai pu leur raconter. Je crois qu’ils n’ont pas cru à l’existence de Lysander. Je crois que Lysander a fait en sorte que personne ne croie à mon récit.

On m’avait dit que la vie était belle, qu’elle valait la peine d’être vécue. On m’avait dit qu’il suffisait d’avoir des rêves et d’y croire pour qu’ils se réalisent. On m’avait dit que je serais heureuse, que je trouverais quelqu’un que j’aimerais de toutes mes forces, et qui m’aimerait en retour. J’ai trouvé un homme. Il m’a détruite. Il m’a massacrée. Et je suis ici à cause de lui. Je suis ici à sa place.

Mais plus personne ne m’entend.
Et peut-être que quand il fait noir et que je tremble de peur, peut-être que lorsque la solitude me ronge, peut-être que quand j’ai froid, peut-être que je l’aime encore. Peut-être qu’il me manque.

Peut-être que j’ai ma place ici.

Welcome to you !